Le martyre du village de Barchon en 1914
[Extrait du recueil : Le Martyre de la Province de Liège par J. Bertrand - 1921]
Les troupes allemandes assiégeant le fort de Barchon s’ étaient nichées dans le village de ce nom, qui est situé à environ un kilomètre des glacis. Une fois le fort tombé, le 6 août, ce ne fut plus, dans la malheureuse commune, qu’un long défilé de troupes allemandes. Rien de sensationnel ne se passa jusqu’au 14 août.
Ce jour-là, le temps était remarquablement beau. La soirée d’été était magnifique, la nuit était sereine. Rien ne semblait faire prévoir l’ horrible tragédie qui allait se dérouler.
On avait bien remarqué l’ivresse de quelques soldats, qui avaient pillé les caves et s' étaient gorgés d’alcool. Mais comme ce n’était pas la première fois que semblable chose arrivait, on n'y avait pas prêté trop d’attention.
Déjà le village s’endormait quand tout à coup sur la route, dans les prairies, éclata une vive pétarade. De tous points, les balles sifflèrent. Les habitants se réfugièrent dans les caves. Puis des cris qui n'avaient plus rien d‘humain se firent entendre. Les bandits en uniformes surgirent de partout, obéissant visiblement à un ordre donné. Brisant portes et fenêtres, ils se ruèrent dans les maisons en hurlant les pires imprécations. Ils prétendaient que des civils avaient tiré sur eux et que deux soldats allemands avaient été tués.
Les malheureux habitants furent expulsés à coups de crosses et de plat de sabre et rassemblés sur la route. Sous les menaces de baïonnettes, ils devaient garder les mains levées. On les parqua dans une prairie, lamentable troupeau humain, vieillards, enfants, bébés, qui imploraient en vain la pitié de leurs bourreaux.
Nous empruntons le récit suivant au livre si bien documenté, publié par MM. De Thier et Gilbart :
Mais voici que des officiers s’avancent. Un major, absolument ivre, parcourt le groupe terrifié en gesticulant et en hurlant, il annonce que toutes les maisons du village vont être brûlées et que si l’on ne découvre pas les civils qui ont tué les deux soldats, toute la population sera exterminée. Nous verrons bien, s’écrie-t-il, si en fin de compte nous aurons la paix dans ce maudit pays.
C’est alors que les Barchonais virent brûler l’école, le presbytère, les fermes, les maisons et les étables.
Tout était si méthodiquement mené qu’il fallait, pour arriver à ce résultat, qu’une compagnie d'artificiers, depuis longtemps stylée, eût mis en action toute son expérience. Ces soldats incendiaires disposaient du reste d'un matériel spécial : cruches de benzine, seringues, grenades, rondelles et pastilles fulminantes. Certains d'entre-eux portaient même, dans une couture ad hoc, les outils destinés à accomplir l'oeuvre de dévastation.
Et l'afflux des infortunés amenés de force dans la prairie Delnooz continuait.
Voici des casques à pointe qui descendent la côte avec un colis humain, Le malheureux, qu’ils transportent par les jambes et par les épaules, est un vieillard aveugle et paralysé. Ils le jettent brutalement sur l’herbe humide de rosée, où I'infirme ne cesse de geindre, appelant sans cesse son fils et demandant pourquoi on l'a transporté là ! Des bébés poussent des cris déchirants, des femmes s'évanouissent.
Le village flambe toujours. Alors les bourreaux jugent que d’autres raffinements de cruauté doivent être mis en oeuvre pour terroriser davantage la population. Des officiers choisissent cinq jeunes filles, les emmènent à l’écart et les font entourer de cavaliers. Ils les interrogent et veulent leur faire désigner là où les personnes qui pourraient avoir tiré sur les troupes. « Personne n’a tiré, personne n’est capable d’avoir tiré ! » telle est la réponse invariable qu’ils recueillent, finalement, ils ramènent les jeunes filles éplorées au milieu du groupe des villageois angoissés.
Quelqu’un se permet de faire remarquer que les soldats allemands étaient ivres à la soirée et qu’ils pouvaient bien, dans cet état, avoir tiré les coups de fusils qui avaient frappé certains de leurs compagnons d'armes. Cette réflection, qui paraît vraisemblable, mit les allemands en fureur. "Ah les cochons de Belges, vous vous permettez d' insulter la grande armée allemande ! Vous allez le payer cher ! Nous allons fusiller tous les hommes. Vous êtes d’ailleurs tous coupables, car on a découvert dans la localité quantité de dépôts d’armes dont vous vouliez faire usage contre nous. Beaucoup d’entre vous ont chez eux des munitions de guerre. Vous nous paierez cher vos fourberies !"
Un mot d’explication est ici nécessaire : Ces dépôts d’armes n’étaient autres que les petits ateliers des nombreux armuriers de Barchon où les trois-quarts de la population s’occupent de la fabrication des armes à feu. Là se trouvaient des pièces inachevées des armes non finies et par là même, inoffensives.
Une heure, deux heures, trois heures, quatre heures sonnèrent au clocher du village voisin. Barchon brûlait toujours à cinq heures du matin !
Les officiers circulent parmi le groupe atterré, choisissent dans le tas les hommes les plus valides, que des soldats lient les uns aux autres par les poignets ou par le cou, en groupes de trois.
Ces malheureux sont dirigés sous escorte vers différents points de la commune. Là, les soldats arment leurs fusils, se placent en face de leurs victimes, et font le simulacre de tirer, non sans accabler leurs victimes des plaisanteries les plus grossières.
Ces scènes durèrent de cinq heures et demie à neuf heures et demie du matin. Dans l’entre-temps, un nommé Gilles Fransquet resta lié à un arbre pendant huit heures, devant sa maison où sa vieille mère agonisait !
Mais de nouveaux ordres arrivent. Les régiments doivent quitter le village, et l’on annonce alors que les prisonniers ne seront pas fusillés à Barchon, mais qu’ils doivent accompagner les troupes. On renvoya enfin les femmes et les enfants, tandis que les hommes étaient amenés à Wandre, ou ils furent fusillés.
Le monument construit en 1927 à l'angle de la rue Canada en mémoire des morts civils et miltaires de Barchon.
Dans un hameau de Barchon, au lieu-dit "Les Communes", les soldats allemands donnèrent libre cours à leur soif de sang et de carnage.
Ils s’emparèrent de tous les habitant et mirent le feu aux maisons. Ils tuèrent, sous les yeux de ses frères et soeurs, un nommé Gérard Melotte, qui avait commis le crime de hausser les épaules.
Le père Labeye voulut empêcher les brutes grises d’achever un de ses fils, âgé de 20 ans, qui gisait blessé au milieu de la route, Il implora à genou les bourreaux. On le repoussa à coups de crosses. Ne se tenant pas pour battu, le père Labeye revint à la charge. Lassés de son insistance, les soldats allemands s’emparèrent du vieillard, et d'un autre de ses fils, âgé de 19 ans, et les fusillèrent à bout portant.
Retournant alors au blessé, ils l’achevèrent en le transperçant de plus de 30 coups de baïonnette. Détail piquant : le fermier Labeye avait, quelques heures auparavant, distribué des tartines et du lait aux soldats allemands.
La maison voisine était habitée par la famille Boudouxhe, composée du père, de la mère, de la fille mariée et deux petits enfants. Ce fut là un carnage sans nom. Les cinq malheureux furent abattus et lancés dans les flammes qui dévoraient leur maison. Les enfants étaient âgés de 5 et de 2 ans.
Plus loin, c’est un vieillard de 95 ans qui fut tué sur le seuil de sa maison, après avoir assisté au massacre de toute sa famille : ses deux filles, ses deux gendres, son petit-fils et sa petite fille.
Trente-et-une personnes trouvèrent la mort dans cette journée du 14 août et trois maisons seulement de Barchon furent épargnées.
Des scènes identiques se passèrent à Battice où trente-six habitants furent massacrés au milieu des pires tortures morales et physiques et où cent quarante maisons sur environ cent cinquante furent réduites en cendres.
Ce récit a été publié en 1921 dans un recueil retraçant les exactions de l'armée allemande en 1914, sous le nom :
Le Martyre de la Province de Liège par J. Bertrand
-
éditeur : L. Opdebeek, Anvers - 1921.
Le texte a été conservé dans sa forme originale.
Autre extrait : Blegny-Trembleur en août 1914