Le Docteur Hubert Delfosse (1) avait épousé une demoiselle Gilson. Ils étaient tous deux originaires du village. Ils eurent trois garçons: Pascal, Guillaume et Hubert.
A la fin de ses études de médecine (vers 1890), il s'établit au Mosty (au n°5), puis fit construire en 1897 la belle maison en haut de la même rue Mosty (2).
Il était quasi indispensable avant 1914 pour un médecin de posséder un cheval. Mis à part le vélo, le cheval était à l'époque le seul moyen efficace d'assurer toutes ses visites. Il fera donc aménager à côté de sa nouvelle maison une petite écurie et une prairie pour l'animal.
Il était la bonté même, principalement envers les plus démunis de Saive ou de Queue-du-Bois. Quelle que soit votre condition sociale, si vous étiez dans le besoin, il était toujours là pour vous aider. Avant la guerre de 1914/18, la misère était grande dans les campagnes et elle perdura jusqu'en 1940 pour les plus déshérités. Nombre de familles à l'époque, devaient endurer le décès d'un ou deux enfants en bas-âge, faute d'hygiène ou de soins. Notre bon docteur était toujours là pour soulager ses malades. Il n'hésitait pas, par exemple, à opérer d'une appendicite directement à la maison du malade. Mais sa mission ne s'arrêtait pas là. Il apportait un grand réconfort moral et matériel. Il arrivait rarement les mains vides. Un grand classique: il offrait une grosse poule pour faire un bon bouillon pour toute la famille le dimanche ou un pain et souvent des médicaments que beaucoup ne pouvaient se payer.
Il fût le médecin attitré du charbonnage des Quatre-Jean de Queue-du-Bois, dit communément « lî bou-bou ». Il connut tous les maux engendrés par ce terrible métier et tenta d'améliorer la condition des ouvriers. En effet, il était rare que le mineur atteigne l'age de 60 ans. Son décès entraînait souvent une misère noire pour la femme et les enfants privés du revenu principal de la famille. Le docteur devait souvent lutter contre le fléau de la silicose.
Il était également devenu expert pour le soin des yeux (les mineurs ne voyaient le jour que le dimanche en hiver !) A l'époque, à Rabosée, le docteur Lejeune (père) n'ayant plus qu'un bras ne savait plus suturer, mais devait pourtant s'occuper du charbonnage de Wandre. Le docteur Delfosse était là aussi souvent pour venir prêter main forte. Il avait donc, un champ d'action beaucoup plus vaste que le village de Saive, avec bien plus de malades qu'ailleurs.
Je me souviens que le charbon du « bou-bou » était plus gras et d'une combustion plus rapide que celui de Wandre ou Trembleur ce qui créait davantage de poussières. Jusqu'à la fermeture du charbonnage, laisser refroidir une tarte ou une crème à sa fenêtre n'était pas envisageable. Et pas question de ranger quoique ce soit dans les greniers.
Une fois par an, par l'extérieur, on récupérait toute cette poussière puis on y ajoutait de l'argile et de l'eau pour en faire du moullion (dè cochèt) que les femmes piétinaient en tournant en rond à plusieurs. (Il servait de combustible de remplacement). Lorsque l'ouvrier mineur rentrait chez lui, c'était pour retrouver cette poussière qu'il venait de quitter.
Toute la famille y était exposée en permanence. Ce moyen de chauffage moins cher que le vrai mais deux fois plus poussiéreux entraînait rhume, bronchite, asthme, et autres maladies pulmonaires.
Toute sa vie le bon docteur honorera son serment d'Hippocrate, au-delà même du possible. Voilà pourquoi le village de Queue-du-Bois fût le premier des villages alentour à l'honorer en baptisant une rue de son nom.
Une vente à l'américaine fut organisée pendant des années (même après 1945) pour la St Nicolas des orphelins des mineurs. Maman Poldine faisait alors un beau coussin en dentelle d'Irlande. Elle en fit bien une vingtaine. Tous furent acquis par des habitants de Queue-du-Bois. Ma grand-mère maternelle fut aveugle trois semaines durant. Les soins du docteur Delfosse lui firent retrouver la vue et elle la conserva (avec l'aide de lunettes) tout le reste de sa vie.
(2) En 1927, il prendra sa retraite dans la propriété materne des Gilson sur la place du Mousset. (Plus tard occupée par le ferrailleur Jean Lemaire).