L'histoire de la famille Lemlyn est liée pour beaucoup à la ferme de la rue des châteaux (Ferme du Petit Pihot).
L'exploitation avait été reprise par notre Jean peu avant-guerre à la famille Chaineux (v.1938). Il avait épousé Marguerite Ancion(1) et eurent trois enfants : Joseph(2), Corneille et Maria.
Ce couple était la bonté même. Mes plus beaux souvenirs remontent à la dure période de la guerre 1940/45 quand nous allions notamment chercher du lait. Les vaches étaient regroupées dans une prairie plus petite prévue pour la traite (en wallon : « el' moudrêye »). Pendant que nous attendions, notre cruche à la main, Jean disait: « Ouvrez la bouche ! » et d'un trayon du pis, il envoyait un jet de bon lait tiède. Quel régal ! C'était la guerre. Une fois, maman Poldine est arrivée trop tard. Jean a pris la cruche de maman, a puisé dans la grande casserole remplie de lait qui cuisait sur la cuisinière pour que nous ayons du lait pour souper.
En juin 1943, le dimanche à la grand-messe de 10 heures, monsieur le curé Knubben dit à peu près ceci: « Mardi prochain, nous aurons la visite des occupants pour venir chercher une des deux cloches. C'est à contrecoeur que je dois m'incliner. C'est une réquisition ! »
Le mardi matin, les occupants arrivèrent mais monsieur le curé était absent. Le chef allemand, furieux, dit à tous ceux qui étaient présent dont Jean Lemlyn, que si le curé était toujours absent quand il reviendrait, il ferait sauter la tour pour prendre cette cloche.
Pour apaiser la colère du chef, notre bon Jean lui proposa ainsi qu'à ses hommes de venir dîner à la ferme, ayant cueilli de bonnes cerises et ainsi, la semaine suivante, ils pourraient emporter la cloche. Ce qui fût fait.
Il faut savoir qu'à l'époque, le dépôt d'armes pour la résistance se trouvait dans la petite maisonnette à côté du potager, à quelques pas de la ferme Lemlyn. Certes l'accès n'y était guère aisé. Après le fossé, près de la cour d'entrée et avant de passer la grande porte cochère, il fallait contourner le tas de fumier, éviter le troupeau d'oies du Japon qui vous courraient après (gare aux mollets) et passer ensuite par l'étable des vaches jouxtant l'habitation familiale. Personne ne peut imaginer la frayeur ressentie par sa famille quand notre homme à la tête de la troupe allemande entra dans la cour.
Quelques jours plus tard, comme promis, ils revinrent et prirent la petite cloche(3). Les enfants des écoles et les habitants assistèrent à son départ.
A la ferme Lemlyn, tous les jours à midi, pour dîner, ils étaient 12 ou 13 personnes à table. Il y avait outre Jean, Marguerite et leurs trois enfants, le domestique à demeure (Joseph Kucharczyk(4), dit le Polonais), Maria Stefaniak(5), son mari Jean Haep (des cantons de l'Est) et leurs deux enfants. Il y avait également une petite fille travaillant la journée de même que Jeanne Frédérique, épouse de Jean Maréchal, sans oublier des résistants de passage dont Pierre Kenjen qui étaient toujours les bienvenus.
Jean et son épouse n'ont survécu que peu de temps après la fin de la guerre, car combien de nuits Marguerite a-t-elle passées à sa fenêtre, tant elle avait peur ? Dieu seul le sait !
(2) Il continuera l'exploitation de la ferme à la suite de son père.
(3) Cette cloche sera récupérée à la fin de la guerre (voir photo). Revenue fêlée, elle sera un peu plus tard re-fondue puis rebâptisée Amélie (1968).
(4) Joseph Kucharczyk (dit Joseph le Polonais) était domestique où valet de ferme et y logeait. Il s'est marié par après, a exploité la ferme de Marie Colin-Horyon, rue des Dragons et eut deux fils.
(5) Les époux Jean Haep et Maria Stefaniak (Polonaise et reconnue comme résistante) et leurs deux enfants habitaient rue des Dragons. Un de leur fils revint travailler chez les Lemlyn plus tard.