Dans l'entre-deux guerres, la paroisse de Saive eut la chance que l'évêché ait envoyé le Curé Keulen. Il était tout entier pour les petites gens, chrétiens ou pas. A ses yeux, toute personne qu'il rencontrait était une créature du Bon-Dieu, baptisé ou non. Il vivait sa fonction de prêtre telle que les évangiles nous l'enseignent. Malgré certaines réformes déjà en vigueur, l'esprit moyenâgeux était toujours là pour certains. L'école était pourtant obligatoire jusque 14 ans mais beaucoup ne connaîtraient jamais un autre sort que celui de leurs parents.
La grande crise de 1929 et son cortège de misères (les anciens se souviennent de la soupe populaire) et les nombreuses bouches à nourrir rendaient cette période bien difficile dans beaucoup de foyers.
Le Curé Keulen discrètement faisait tout pour améliorer le sort de ces pauvres gens. Il faisait parvenir du charbon ou du tabac, des fois, une bonne couverture ou une bonne poule, etc...
Il était aidé par deux personnes qui ont toujours été citées comme exemple : Le boulanger Comblain(1) au Mosty et sa voisine Mlle Louise Lacroix(2), sage-femme. A eux deux, ils pouvaient aller frapper à la porte du brave curé et de sa sœur Rose. Ils côtoyaient bien souvent voir journellement la misère surtout durant les rudes hivers d'antan.
Il avait réussi à redresser la paroisse par son esprit d'initiative jouant des coudes sur tous les plans. Il avait fait rénover les orgues, leur faisant placer un moteur électrique pour actionner le soufflet au lieu du petit acolyte et réalisé l'entretien de toute l'église.
Il dirigeait une chorale brillante (troisième d'un concours provincial) qui pouvait interpréter avec brio aussi bien de la grande musique religieuse telle que la messe du sacre de Mozart que la petite messe facile de Delêfe (l'auteur se déplaçait pour venir accompagner à l'orgue cette chorale de village). Auparavant, il donnait des cours de solfège à qui le désirait. Ceux-ci, dès qu'ils pouvaient se débrouiller, transmettaient leurs savoirs aux suivants. Il organisait des concerts dans la petite salle Juvigné et bien d'autres choses dont je ne me souviens plus.
Malheureusement, il y aura toujours des gens qui, comme l'enfer, seront pavé de mauvaises intentions. L'évêché eut vent de certaines rumeurs prétendant que notre bon curé favorisait plus que d'autres, les trois enfants Jonlet dont la petite Marie-Jeanne(3). Il y eut une enquête qui tourna court, la rumeur n'étant nullement fondée, étant surtout défendue par ceux qui pourtant baptisés, ne passait le seuil de l'église que pour une absoute et encore !
Quand le curé Keulen décéda en 1935, il était complètement ruiné. Il avait même dépensé l'héritage de sa sœur, Mademoiselle Rose, aussi le petit vicaire Francotte la reprit à son service pour l’aider. Elle était plus pauvre que certains déshérités de la paroisse, voir du village.
(2) Le boulanger Comblain provenait de Barchon et habitait au début de la rue Mosty. Bien des enfants, dès qu'ils le pouvaient sont allés lui demander : « ine pitite tôtes, siv' plait ! ». Jamais, il ne refusait.
(3) Excellente élève, elle voulait devenir institutrice mais dû abandonner ses études au décès du prêtre. Faute d’argent, elle est restée célibataire et s'est occupée de son papa Hadelin (crieur) et de son frère.