Le 2 septembre 1944 fut une journée mémorable pour les habitants de Sur les Heids. Le hameau avait déjà été éprouvé en 1940 par le dynamitage de la route par les militaires du génie belge, puis, plus tard, par des bombes tombées d’un avion en perdition après un combat aérien.
Mais revenons au 2 septembre 1944. Depuis quelques jours, les Allemands repassaient en hordes, fatigués et désemparés, à pied, à vélo ou à moto sur des véhicules les plus hétéroclites, camions poussifs ou charrettes ridelles. Avec un air goguenard, nous allions les voir passer au Mosty. Ils étaient bien moins glorieux qu’en 1940.
Puis, pendant un jour ou deux, il y eut un calme étrange. Les routes étaient désertes. De temps à autre, des Allemands passaient et repassaient plus nerveux, plus méchants, des S.S. probablement qui regardaient les gens d’un air mauvais. Il valait mieux ne pas se trouver sur leur chemin.
Donc, ce jour-là, jamais je ne l’oublierai, maman me dit “va faire la file à la boulangerie Lechanteur, au Mosty. Dans une heure, j’irai te remplacer. Nous aurons gagné quelques places”.
Dans la file, il y avait Zinette Locxhay. C’était ma copine. Nous bavardions. Le temps passait agréablement.
Tout-à-coup, de Queue-du-Bois, arriva un tank allemand précédé d’une moto side-car. Et voilà que du side-car, l‘Allemand, avec sa mitraillette, se mit à tirer sur tout ce qui bougeait. Mon père, assis sur le talus de la Haie delle Praye, pourtant à une belle distance, essuya une rafale de balles. Il s’en tira avec son sabot coupé en deux. Et, avec son seul sabot, il fila sans demander son reste. Dans la cour Lechanteur, ce fut une belle panique.
L‘Allemand continuait de tirer. Zinette et moi, nous étions couchées plat ventre sous une grande manne d’osier que sa maman, Madame Alberte Locxhay-Lacroix, avait jetée sur nous.
Grâce à Dieu, pas de blessés. Les Allemands descendirent la route du Grand Moulin en continuant leur pétarade. Mon oncle, Jean Fraikin, le frère de maman, eut la chance de sa vie. Dans le Frise, Madame Gilson, entendant les coups de feu, entrouvrit sa porte. Mon oncle s'y engouffra pendant que des balles se figeaient dans la porte cochère. Tous les deux eurent très chaud.
Un peu plus bas, à l’arrêt actuel des bus, Marguerite Maréchal (on l‘appelait Margot) risquant un œil au dehors, aperçut Joseph Houbart de Sur les Heids blessé aux jambes. Elle l’aida à entrer chez elle.
Pendant ce temps, les Allemands arrivèrent au pont de la Julienne, près de la laiterie Ruwet. ils commencèrent à creuser un trou. Puis, ils se ravisèrent. Ils remontèrent sur leurs engins, au grand soulagement des habitants du Grand Moulin.
Arrivés sur les Heids, ils s’arrêtèrent à nouveau, bourrèrent le tank de dynamite et le firent exploser en plein milieu du hameau.
II y eut des victimes. Mademoiselle Marie-Jeanne Horion, 20 ans, fut tuée. Sa nièce, et filleule, Marie-Jeanne Davister, 4 ans, mourut dans les bras de sa maman, Madame Clèmentine Davister-Horion dont le mari était prisonnier en Allemagne. Quant à Madame Georges Magnée, elle eut le réflexe de se jeter sur sa petite Juliette qui dormait dans sa poussette. Elle fut néanmoins gravement blessée et elle perdit son second bébé qui devait naître quelques semaines plus tard.
Le hameau de Sur les Heids était de nouveau endeuillé.
Quelques jours plus tard, la libération se fit dans la joie. Puis les prisonniers rentrèrent, Un à un, aussi dans la joie, sauf…
… Sauf Monsieur Davister. II n’eut pas le bonheur de serrer sa petite fille dans ses bras. Elle était née après son départ en captivité. II ne l‘a jamais vue.