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Mercredi
5 août, à 5 heures : un bataillon allemand occupe le
village. Les troupes belges lui envoient des balles et se retirent
vers Barchon. Mercredi après-midi, les Allemands perquisitionnent
dans les maisons et envoient les gens à l’église,
leur promettant sécurité, puis ils vont les prendre
dans les maisons et les y conduisent au nombre d’environ 250.
Je vais à l’église. Il y avait là du brouhaha.
Une quinzaine de soldats gardaient les gens. J’engage l’assistance à se
calmer, et à prier. Je monte en chaire et on prie. Puis je
me rends au confessionnal. Presque tous s’y présentent.
Plus tard, on m’interdit de confesser ou de prier et l’on
procède à des investigations dans l’ église.
Bientôt, nous voyons la lueur des incendies allumés à l’entour.
Conduit dehors pour comparaître devant
le major, je trouve la place en feu : la halle, les maisons Delnooz, Dortu, Lechanteur,
Greffe, Clermont, Heuchenne, Rikir, Carabin, Smets, Plieers, Duckers,
Julin, Dumoulin, Verviers, Westphall, Devortille, Battice, Hacquin,
Custers, Bartholomé, Gueusay, Comblain,
Hacquin, Renard, Grandjean, Bouvier, Dauy, Fransen, Rademacker, Bouwers,
Battice, Darchambeau. Étaient tués
: Joseph Smets, Lambert Delnooz, J. Herman et A. Hendricx. On passe
la même nuit dans l’église. Ernest Clermont est
pris d‘une attaque de nerfs, ainsi que Léopold Hortu.
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Vers
5 heures (jeudi 6), on vient faire une proclamation : les femmes
et les enfants peuvent sortir, les hommes resteront,
on les conduira on Allemagne. Aurais-je pu ne pas être compris
dans la condamnation ? En tous cas, je n’en fis pas la demande
; je jugeai trop utile d’accompagner 170 malheureux. On
part. Arrivé au delà de Gotcé, on
nous fait entrer dans une prairie ; première alerte : nous
croyons que l’on va nous fusiller. Je commence la prière.
Après une heure, on se remet en marche. On entre encore dans
une prairie près de Battice. On nous parque au milieu, entourés
de sentinelles. Nous devons nous coucher ; on y logea. Pour nourriture,
quelques bonbons, quelques croûtes ; le soir, quelques gorgées
de bouillon données par des militaires compatissants.
Je fus
fort en butte aux mauvais procédés des soldats et des
chefs subalternes ; ils m’accusaient d’avoir placé le
téléphone à la tour (installé par l’armée
belge) et d’y avoir mis des soldats avec mission de tirer sur
les Allemands. Puis des impiétés sont proférées
contre la religion, contre Jésus-Christ et la prière.
Ils voulaient me faire avouer que je savais parler allemand. Comme
je ne comprenais pas, ils me montraient le poing, me poussaient du
pied, me menaçaient de leur fusil, de leur baïonnette,
d’une hache, d’un poignard... Une fois, un officier me
cracha au visage, jeta mon bonnet à terre, crachant dessus.
Un autre me donna une bourrade dans la poitrine et un violent coup
de pied à la jambe. Un soldat me piqua trois fois de sa baïonnette
et me fit une légère blessure. D’autres, pour
donner quelques pommes à mes compagnons ;
me les jetaient à la tête. Rien de bien grave. Cependant,
ils montraient une telle fureur que, s’ils m’avaient
trouvé seul, je crois qu’ils m’auraient tué.
Entre-temps, on vient fusiller près de nous cinq de nos compagnons:
Gérard Custers, Jean Dortu, Codard, Jacques Flamant et Renard.
A deux reprises encore, on nous laisse croire que nous allons être également
fusillés. A un autre moment, on nous met sous le feu d’une
fusillade combinée de manière à nous effrayer.
Puis on vient encore placer devant nous une seconde série
de quatre condamnés à mort, entre autres Noël
Nihan. Les malheureux étaient là depuis la veille à 4
heures, les mains liées, et j’ai su qu’ils s’y
trouvaient encore le lendemain de notre départ. Que sont-ils
devenus ?
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Le
vendredi 7 août, il était 11 1/2 heures du matin ; il
pleuvait à verse. Comment passerions-nous la nuit suivante
? Or, un capitaine vint nous annoncer que nous étions libres
et que nous devions rentrer au plus vite à Blegny.
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Lundi
10 août, il y a à cette date 38 maisons brûlées
et 23 endommagées.
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Jeudi
13, quelques pillages de maisons ; deux jeunes gens emmenés.
Le bourgmestre obtient, au moulin d’Argenteau, une provision
de farine.
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Vendredi
14, pillage de quelques maisons. Nuit de vendredi à samedi
: on brûle le village de Barchon;
le curé est emmené prisonnier.
Ici
se terminent les notes du curé de BIegny. Voici la suite des évènements:
M. le curé et les paroissiens de Blegny sont
revenus de Battice le vendredi 7 août, vers
12 1/2 heures. Ce fut un délire de joie au retour, pour les pauvres
gens réfugiés à l’hospice et à l'institut. Toute
la semaine suivante se passa dans le calme.
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Samedi
15, jour de l'assomption, vers 6 heures
du soir, des soldats apportent chez M. le curé un billet
sur lequel il était écrit que, si l’on tirait
encore sur le village (!), il serait fusillé. M. le curé,
M. le bourgmestre et M. Delnooz, beau-père du docteur,
doivent se constituer prisonniers et être gardés à vue
dans la chambre de M. le curé. On demande à souper
pour les officiers (une demi-douzaine environ) ; à 9 heures
du soir. Ils doivent loger au presbytère, tous dans une
chambre. "Voilà mes chambres !" leur a dit le
prêtre.
Dans le patronage, attenant à la cure, se
trouve toute une troupe de soldats. M. Delnooz et M. Ruwet, bourgmestre,
arrivèrent à 8h.15 et montent à la chambre
du prêtre. Les officiers soupent. ils, disent de préparer
un bon souper pour le curé ! Des sentinelles se tenaient
devant la porte de leur chambre.
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Dimanche
16, vers 1h.15 de la nuit, on a tiré des
coups de feu près de la maison. Les officiers sont sortis.
Il y a encore trois soldats blessés, disent-ils à la
servante : "les habitants ont tiré !". Un officier
vient dire à un moment donné : "Ils ont encore
tiré les c..." La servante répond : "Il
n’y a plus d’armes à Blegny !". Les officiers
occupaient le salon et le cabinet où l’on avait apporté des
matelas. Le matin, ces officiers se consultèrent et chuchotèrent
entre eux. Vers 5 heures, ils ont envoyé chercher une soeur
de l'institut, sachant l’allemand,
pour dire à M. le curé qu’il allait être
emmené, qu'il devait partir parce qu’on avait encore
tiré. La religieuse a demandé grâce. L’officier
a répondu : "C’est un ordre supérieur,
qui doit être exécuté..".. Alors la soeur
a demandé pour M. le curé, la permission de pouvoir
dire sa messe, ce qui a été accordé.
Le prêtre,
après s’être rasé, est allé dire
sa messe à la chapelle de l'institut,
accompagné de deux soldats. M. le vicaire a servi cette
messe. Il a été étonné de la sérénité et
du calme de M. le curé. L’Orate Fratres et les prières
après la messe furent dites par lui d’une façon
particulièrement émouvante. Après l’action
de grâces, il vient au choeur, près de M. le vicaire,
et demande l’absolution sans dire pourquoi ; il ne paraissait
nullement ému. Il sortit pour rentrer au presbytère
; il était environ 6 heures et quart. En sortant de la chapelle,
M. le curé a donné sa bénédiction aux
religieuses et a dit : "Que voulez-vous faire? Je prierai
pour vous..." Revenu au presbytère, il a pris une tasse
de café et n’a pas mangé. il a dit à la
domestique : "C’est fini ; vous pouvez vous recommander
aussi à la Providence. L’église va être
brûlée et probablement le presbytère".
Louise lui a fait une tartine et enveloppé, avec celle-ci,
trois lignes de chocolat. Elle a voulu lui donner de l’argent,
mais il a dit : "Je n’en ai pas besoin : Tout au moins,
si je pouvais changer de soutane ?". On l’y a autorisé.
M. le bourgmestre et M. Delnooz sont aussi retournés chez
eux pour s’habiller, toujours accompagnés de soldats
: eux étaient convaincus qu'ils allaient être conduits à Liège.
Le bourgmestre avait rédigé une lettre de défense.
Il est revenu seul, M. Delnooz ayant été gracié parce
que, dit-on, beau-père du médecin qui avait soigné des
blessés allemands. M. le curé a demandé à prendre
un livre dans son cabinet ; il a pris son bréviaire et un
autre petit livre. Il pleurait et tremblait en prenant sa tasse
de café, lorsqu’il fit ses dernières recommandations.
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Le
bourgmestre et le curé, accompagnés de soldats, sont
partis dans la direction de l’église, où ils
ont rejoint les deux frères Hacquin, que l’on avait
arrêtés, semble-t-il, au hasard. Arrivés près
de l’église, on leur a dit : "La voiture pour Liège va
passer... mais vous n’avez pas besoin de voir par où vous
allez". Et on leur a bandé les yeux en les adossant à l’église.
Fusillade à 8 1/2 heures... D’abord, les deux
Hacquin ont été exécutés, puis M. le curé,
ensuite M. Ruwet. M. le curé est tombé face contre
terre, sur les deux Hacquin, et le bourgmestre sur M. le curé.
Celui-ci est mort instantanément : une balle l’avait
frappé au front, enlevant un morceau de crâne gros
comme la main. On mit le feu à l’église aussitôt
après cette scène tragique.
Blegny étant sous
la terreur, personne n’osa se montrer. Vers 10 ½ heures,
quand les soldats sont partis, deux religieuses, soeur Clavier
et soeur Cécile, sont allées avec une charrette à bras
chercher d'abord le corps de M. le Curé, secondées
par un petit jeune homme, Léopold Lafnet,
qui a été assez courageux pour venir à leur
aide. M. le curé et M. le bourgmestre avaient tous deux
leur chapelet en main. Voyant le courage des deux religieuses,
les gens leur donnèrent ensuite un coup de main ; on transporta
les corps à l'institut.
M. le
docteur Reidemeister a fait l’autopsie. Le corps de M. le
curé était couvert de sang, les yeux fermés
; plusieurs balles dans la poitrine ; on voyait, sur ses jambes,
les coups et les bleus reçus à Battice. Les deux
Hacquin étaient tellement déchiquetés qu’on
n’a pu les ensevelir. On les a enveloppés dans un
drap de lit et portés à la morgue.
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Lundi après-midi
(17 août), un confrère de M. le curé Labeye,
M. le curé de Saint-Remy, est venu procéder à l’inhumation
avec M. le vicaire. Tous deux, revêtus de la chape, précèdent
les corps qu’on porte à bras, car il n’y a plus
même de civière. Ils passent en face de l’église
dont les ruines sont toujours fumantes.
Triste cortège ! Les religieuses suivent.
Les corps sont déposés au cimetière.
Ce
récit a été publié en 1921 dans un recueil
retraçant les exactions de l'armée allemande en 1914,
sous le nom : Le Martyre de la Province de Liège par
J. Bertrand (éditeur : L. Opdebeek, Anvers).
Le texte a été conservé dans
sa forme originale. (Autre extrait : Le
martyre du village de Barchon en 1914 )
Sur la guerre 14/18 à lire également: Les Combats de Rabosée en Août 1914 |