Les
troupes allemandes assiégeant le fort de Barchon s’ étaient nichées
dans le village de ce nom, qui est situé à environ un kilomètre des
glacis. Une fois le fort tombé, le 6 août, ce ne fut plus, dans la
malheureuse commune, qu’un long défilé de troupes allemandes.
Rien de sensationnel ne se passa jusqu’au 14 août. Ce jour-là, le temps était
remarquablement beau. La soirée d’été était magnifique, la nuit était sereine.
Rien ne semblait faire prévoir l’ horrible tragédie qui allait se dérouler.
On
avait bien remarqué l’ivresse de quelques soldats, qui avaient pillé les
caves et s' étaient gorgés d’alcool. Mais comme ce n’était pas la Première
fois que semblable chose arrivait, on n'y avait pas prêté trop d’attention.
Déjà le village
s’endormait quand tout à coup sur la route, dans les prairies, éclata une vive
pétarade. De tous points, les balles sifflèrent. Les habitants se réfugièrent
dans les caves. Puis des cris qui n'avaient plus rien d‘humain se firent entendre.
Les bandits en uniformes surgirent de partout, obéissant visiblement à un ordre
donné. Brisant portes et fenêtres, ils se ruèrent dans les maisons en hurlant
les pires imprécations. Ils prétendaient que des civils avaient tiré sur eux
et que deux soldats allemands avaient été tués.
Tous
les malheureux habitants furent expulsés à coups de crosses et de plat
de sabre et rassemblés sur la route.
Sous les menaces de baïonnettes, ils devaient garder les mains levées. On
les parqua dans une prairie, lamentable troupeau humain, vieillards, enfants,
bébés,
qui imploraient en vain la pitié de leurs bourreaux.
Nous empruntons le récit
suivant au livre si bien documenté, publié par MM. De Thier et Gilbart :
Mais voici que des officiers s’avancent. Un major, absolument
ivre, parcourt le groupe terrifié en gesticulant et en hurlant, il annonce que
toutes les maisons du village vont être brûlées et que si l’on ne découvre pas
les civils qui ont tué les deux soldats, toute la population sera exterminée.
Nous verrons bien, s’écrie-t-il, si en fin de compte nous aurons la paix dans
ce maudit pays.
C’est alors que les Barchonais virent brûler l’école, le presbytère,
les fermes, les maisons et les étables. Tout était si méthodiquement mené qu’il
fallait, pour arriver à ce résultat, qu’une compagnie d artificiers, depuis longtemps
stylée, eût mis en action toute son expérience. Ces soldats incendiaires
disposaient du reste d'un matériel spécial : cruches de benzine, seringues,
grenades, rondelles et pastilles fulminantes. Certains d'entre-eux portaient
même, dans une couture
ad hoc, les outils destinés à accomplir l'oeuvre de dévastation.
Et l'afflux des infortunés amenés de force dans la prairie
Delnooz continuait. Voici des casques à pointe qui descendent la côte avec un
colis humain, Le malheureux, qu’ils transportent par les jambes et par les épaules,
est un vieillard aveugle et paralysé. Ils le jettent brutalement sur l’herbe
humide de rosée, où I'infirme
ne cesse de geindre, appelant sans cesse son fils et demandant pourquoi
on l'a transporté là ! Des bébés poussent des cris déchirants, des femmes
s'évanouissent.
Le village flambe toujours. Alors les bourreaux jugent que d’autres raffinements
de cruauté doivent être mis en oeuvre pour terroriser davantage la population.
Des officiers choisissent cinq jeunes filles, les emmènent à l’écart et
les font entourer de cavaliers. Ils les interrogent et veulent leur faire
désigner là où les
personnes qui pourraient avoir tiré sur les troupes. « Personne n’a tiré,
personne n’est capable d’avoir tiré ! » telle est la réponse invariable
qu’ils recueillent,
finalement, ils ramènent les jeunes filles éplorées au milieu du groupe
des villageois angoissés.
Quelqu’un se permet de faire remarquer que les
soldats allemands étaient
ivres à la soirée et qu’ils pouvaient bien, dans cet état, avoir tiré les
coups de fusils qui avaient frappé certains de leurs compagnons d'armes.
Cette réflection,
qui paraît vraisemblable, mit les allemands en fureur. "Ah les cochons
de Belges, vous vous permettez d' insulter la grande armée allemande !
Vous allez le payer cher ! Nous allons fusiller tous les hommes. Vous êtes
d’ailleurs tous coupables,
car on a découvert dans la localité quantité de dépôts d’armes dont vous
vouliez faire usage contre nous. Beaucoup d’entre vous ont chez eux des
munitions de guerre. Vous nous paierez cher vos fourberies !"
Un mot d’explication
est ici nécessaire : Ces dépôts d’armes n’étaient autres que les petits
ateliers des nombreux armuriers de Barchon où les trois-quarts de la
population s’occupent
de la fabrication des armes à feu. Là se trouvaient des pièces inachevées
des armes non finies et par là même, inoffensives.
Une
heure, deux deux, trois heures, quatre heures sonnèrent au clocher
du village voisin. Barchon brûlait toujours à cinq heures du matin !
Les officiers circulent parmi le groupe atterré, choisissent dans le
tas les hommes les plus valides, que des soldats lient les uns aux autres
par les poignets ou par le cou, en groupes de trois. Ces malheureux sont
dirigés
sous escorte vers différents points de
la commune. Là, les soldats arment leurs fusils, se placent en face de
leurs victimes, et font le simulacre de tirer, non sans accabler leurs
victimes des plaisanteries les plus grossières.
Ces scènes durèrent de cinq heures et demie à neuf
heures et demie du matin. Dans l’entre-temps, un nommé Gilles Fransquet resta
lié à un arbre pendant
huit heures, devant sa maison où sa vieille mère agonisait ! Mais de
nouveaux ordres arrivent. Les régiments doivent quitter le village,
et l’on annonce
alors que les prisonniers ne seront pas fusillés à Barchon, mais qu’ils
doivent accompagner les troupes. On renvoya enfin les femmes et les
enfants, tandis que les hommes étaient
amenés à Wandre, ou ils furent fusillés.
Dans
un hameau de Barchon, au lieu dit Les Communes, les soldats allemands
donnèrent libre cours à leur
soif de sang et de carnage. Ils s’emparèrent de tous les habitant et
mirent le feu aux maisons. Ils tuèrent, sous les yeux de ses frères
et soeurs, un nommé Gérard Melotte,
qui avait commis le crime de hausser les épaules.
Le père Labeye voulut empêcher les brutes grises d’achever un de ses
fils, âgé de
20 ans, qui gisait blessé au milieu de la route, Il implora à genou
les bourreaux. On le repoussa à coups de crosses. Ne se tenant pas
pour battu, le père Labeye
revint à la charge. Lassés de son insistance, les soldats allemands
s’emparèrent
du vieillard, et d'un autre de ses fils, âgé de 19 ans, et les fusillèrent à bout
portant. Retournant alors au blessé, ils l’achevèrent en le transperçant
de plus de 30 coups de baïonnette. Détail piquant : le fermier
Labeye avait, quelques heures auparavant, distribué des tartines et
du lait aux soldats allemands.
La maison voisine était habitée par
la famille Boudouxhe, composée
du père, de la
mère, de la fille mariée et deux petits enfants. Ce fut là un carnage
sans nom. Les cinq malheureux furent abattus et lancés dans les flammes
qui dévoraient
leur maison. Les enfants étaient âgés de 5 et de 2 ans.
Plus loin, c’est
un vieillard de 95 ans qui fut tué sur le seuil de sa maison, après
avoir assisté au massacre
de toute sa famille : ses deux filles, ses deux gendres, son petit-fils
et sa petite fille. Trente-et-une personnes trouvèrent la mort dans
cette journée
du 14 août et trois maisons seulement de Barchon furent épargnées.
Des scènes
identiques se passèrent à Battice où trente-six habitants furent massacrés
au milieu des pires tortures morales et physiques et où cent quarante
maisons sur environ cent cinquante furent réduites
en cendres.
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